Le Racard, centre d'hébergement et lieu de vie avec appui psychosocial situé à Genève, réussit, depuis sa fondation en 1981 jusqu'à nos jours, à persévérer dans la conception d'un espace vital de recomposition subjective et psychique non psychologisant et non éducatif. Et ceci malgré les fréquentes pulsions normatives qui, dans la durée, guettent quotidiennement toutes sortes de dispositifs d'aide sociale et psychologique. Le défi, et tout professionnel du champ " psy " ou social peut s'en rendre compte, est à la hauteur des pressions inconscientes ou objectives de normalisation, venant non seulement de l'extérieur de par la rigidité des paradigmes en vogue, mais aussi de l'intérieur de par le côté déstabilisant et angoissant que peut engendrer cette démarche vis-à-vis des professionnels eux-mêmes. Durant toutes ces années il a fallu, au centre Racard, articuler structure ou structuration de l'espace du faire et de l'agir institutionnel, avec des plages protégées vis-à-vis de toute codification normative préalable. Le plus difficile, certes, dans les rapports humains, ce n'est pas tant de structurer, de réglementer l'espace institutionnel, social et transsubjectif des échanges que de pouvoir laisser à chacun la place d'évoluer dans un climat de haut coefficient de liberté. D'évoluer, selon ses rapports de convenance ou de disconvenante, pour que l'humain, ainsi fait et tel qu'il se vit, puisse s'approprier le lieu, sortir de sa carapace invalidante afin de s'aventurer à saisir, voire " fabriquer ", sa propre et singulière possibilité de se retrouver sans crainte d'être jugé.
Miguel D. Norambuena, Chilien, né en 1950, est directeur du Centre Racard. Formation en psychopathologie sociale, EHESS, Paris. A traduit et commenté en espagnol (chilien) des textes de Félix Guattari. A publié notamment Hébergement d'urgence et animation psychosociale, le Racard ou renouer avec la vie (1997) ; Le Racard, une institution d'aide psychosociale, l'utopie au coeur du Paris, L'Harmattan.